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LA FORMATION DES LOCUTIONS PHRASÉOLOGIQUES 4 ÷àñòü
Le français a longtemps répugné à la prononciation d'un groupe de consonnes sans l'appui d'une voyelle initiale ou médiale. C'est pourquoi les mots italiens scalata, scorta, spalliera, squadrone, scarpino sont devenus en français escalade, escorte, espalier, escadron, escarpin. L'espagnol possède deux fricatives sourdes inconnues au français La première [0]. qui est une interdentale est reproduite par c devant e et i.par z dans les autres cas. En français elle est transcrite s, ss, c, ç, t, par exemple : cigarro > cigare, caparazon > caparaçon, embarcation > embarcation. La deuxième qui est une vélaire [x] est représentée en espagnol par j. et par g devant e et i : en français elle est rendue par ch par exemple : Don Quijote > Don Quichotte. Les modifications qui proviennent des divergences entre les sons français et les sons des langues germaniques sont moins régulières Signalons les altérations les plus typiques : 1. Les voyelles des mots d'emprunt sont remplacées par des voyelles françaises plus ou moins proches. Pourtant ces dernières sont fort différentes de celles auxquelles elles se substituent C'est ainsi que la voyelle [A] des mots anglais club et lugger est rendue en français dans le premier cas par [ce], dans le deuxième par [u] (cf. : lougre - « petit bâtiment de pêche ou de cabotage »). 2. La diphtongue [au] représentée en allemand par au. en anglais par ou on ow est parfois prononcée [u] en français par, exemple : all. Sauerkraut > choucroute : clown prononcé [klaun] en anglais devient [clun] en français. 3. De même que dans les emprunts aux langues romanes la combinaison graphique d'une voyelle suivie d'une consonne nasale correspondant à une voyelle nasale française est rendue par cette dernière en français, par exemple : all. Schnapphahn (« voleur de grand chemin ») > chenapan, angl. riding coat > redingote. Les combinaisons de plusieurs consonnes consécutives sont évitées grâce à la suppression d'une ou de certaines d'entre elles ou à Tintercala-tion d'un e muet, par exemple : angl. Roaslbeef > rosbif, becfsteak > bifteck, all. Landsknecht > lansquenet (au XVe siècle « soldat allemand mercenaire »). 4. La consonne affriquée ch [tf] en anglais est généralement rendue en français par la fricative ch [f |. par exemple : punch - « boisson légère » > punch, check > chèque, challenge > challenge. 5. Le système sonore de la langue russe se distingue profondément de celui du français. Cette différence est surtout sensible dans le domaine des consonnes. La fricative [x] est inconnue au français : elle y est remplacée par l'occlusive [k], écrite kh, par exemple : kolkhoze (cf. : aussi à l'emprunt allemand krach prononcé avec un [ k] final). Les affriquées ÷, ö et la fricative ù. sont reproduites plus ou moins fidèlement par les combinaisons graphiques tch, ts et chtch. Mais comme ces sons n'appartiennent guère en propre au français les mots qui les contiennent trahissent aussitôt leur origine étrangère, par exemple : tsar, tchernoziom. La liquide Ji dure que Ton rencontre dans «êóëàê» est rendue en français par le simple [1] - koulak. Notons les modifications les plus nettement marquées dues à l'adaptation des mots d'emprunt au système grammatical du français : la substitution de formes françaises aux formes étrangères correspondantes : penser < lat.pensare, piller < ital.pigliare, réussir < ital. riuscire. hâbler < esp. hablar, boycotter < angl. to boycott, sanatorium au lieu du latin sanatoria. le remplacement des suffixes (par exemple : -ata, italien et -ada, espagnol, ou -er. anglais) par des suffixes français correspondants (par -ade, -eur) ; la francisation des préfixes (ainsi, in- des mots italiens devient en- (em-) en français : imboscare > embusquer, incastrare > encastrer) : la formation de dérivés à partir de mots d'origine étrangère ' accompagnée parfois du rejet d'un affixe originaire sportif (qui a éliminé sportsman). sportivité, footballeur, skieur, monilorage, clownesque, clownerie, kolkhozien, etc : l'application de formes françaises à certains mots étrangers adoptés eux-mêmes dans une forme grammaticale déterminée : quoique macaroni, confetti soient des substantifs pluriels italiens, ils prennenttoutefois un s au pluriel en français : les formes verbales latines lavabo («je laverai »), mémento (« souviens-toi ») tenus en français pour des substantifs en reçoivent toutes les caractéristiques. La suppression d'un des éléments du vocable emprunté est aussi un indice de sa naturalisation : piano, kirsch, bock, pull, scripte se sont détachés de leurs prototypes étrangers piano-forte, Kirschwasser (« eau de cerise »). Bockbier (proprement « bière de bouc ». désignant une bière très forte), pull-over (proprement « se qu'on passe par-dessus »). script-girl (« personne chargée de noter les détails artistiques et techniques de la prise de vue »). Quant à l'adaptation sémantique elle mérite d'être examinée à part. Il est à noter que la majorité des vocables étrangers pénètrent dans la langue réceptrice non pas avec toutes les acceptions qu'ils avaient dans la ' langue donneuse, mais seulement avec une ou quelques-unes d'entre elles. Ainsi le verbe attaccare qui signifie en italien « attacher, joindre, atteler les chevaux à la voiture » (attacar la carrozza) ; « attaquer, assaillir, quereller (attacar lite) ». est entré dans la langue française dans le seul sens d'« attaquer ». Le substantif italien corridore signifie « corridor, galerie ; batteur d'estrade : cheval ; cheval coureur » ; il est venu dans la langue française avec le sens de « corridor ». Le substantif anglais tender veut dire « offre : acompte ; personne chargée de surveiller des malades, des enfants : tender » : dans la langue française tender est employé uniquement comme ternie technique. En anglais le sens propre de clown est « rustre ». En français spoutnik est exclusivement un terme d'astronomie tandis qu'en russe il signifie encore « compagnon de route, de voyage ». Les mots étrangers polysémiques sont adoptés tantôt dans leur sens principal (sport, hall, bouledogue, building), tantôt dans leur sens spécialisé (ring, crawl, score dont les sens principaux en anglais sont respectivement « anneau ». « ramper ». « coche, entaille »). Cependant au cours des siècles un mot emprunté peut recevoir des acceptions nouvelles qu'il n'avait pas à l'origine. Il arrive que l'évolution sémantique du vocable emprunté se fasse dans le sens indiqué par son prototype étranger : héler pris à l'anglais au XVIe siècle comme tenue de marine (« appeler un navire ») reçoit son sens moderne élargi sous l'influence de to hail ; concert apparu au XVIe siècle au sens de « accord » commence à s'employer comme terme musical à partir du siècle suivant en s'appropriant ainsi un autre sens du concerto italien. Toutefois des cas nombreux se présentent où le vocable emprunté acquiert des sens qu'il n'avait point dans sa langue d'origine : box. emprunté à l'anglais au XVIIIe siècle (d'abord « loge de théâtre ». puis « stalle d'écurie ») reçoit en français le sens de « compartiment d un garage » : l'anglicisme standard - « étalon » a reçu en français encore le sens de « dispositif pour centraliser les communications téléphoniques ». Des cas curieux sont offerts par certains vocables étrangers qui en passant d'une langue dans une autre changent entièrement leur contenu sémantique. Il y a lieu de nommer ici les « faux anglicismes » ou mots qui prennent en français un sens qu'ils n'ont point en anglais. Tel est le cas de footing qui signifie en français « exercice de marche ». sens que ce mot n'a pas en anglais : le speaker qui en France est un annonceur à la radio désigne en Angleterre le président de la Chambre des Communes ou un conférencier ou même un orateur d'occasion à quelque réunion. Nous avons déjà signalé1 que les mots d'emprunt prennent souvent une valeur émotionnelle péjorative. Tel fut le sort de rosse < all. Ross -« cheval ». relire < ail. Relier - « cavalier ». apparatchik (du russe). Les modifications sémantiques affectent non seulement le sens (le contenu idéal), mais aussi le signalement. Ainsi un certain nombre d'emprunts d'origine arabe apparus en français au XIXe siècle reçoivent une nuance familière ou argotique. Il en est ainsi de clebs -pop. « chien ». kif-kif-fam. « pareil, la même chose », littéralement « comme comme » (cf. aussi la forme abrégée kifqul est pop. : C 'est du kij- « c'est la même chose »), maboul -pop. « fou ». toubib - fam. « médecin ». Ces nuances stylistiques peuvent s'ajouter aux sens nouvellement acquis en français .bled- proprement « terrain, pays » - s'emploie dans le style familier au sens de « lieu, village isolé offrant peu de ressources » accompagné d'une nuance péjorative ; nouba qui en arabe désignait la musique que l'on jouait à tour de rôle devant les maisons des dignitaires, reçoit le sens de « bombance, noce » dans l'expression familière faire la nouba. La francisation peut être une conséquence de l'étymologie populaire : les formations anglaises bull-dog- « chien-taureau » et country-danse - « danse de campagne » se sont transformées en bouldogue et contredance. l'italien monte-di-pietà - « crédit de pitié » est devenu mont-de-piété. Nous n'avons examiné que quelques cas particuliers de l'adaptation des mots au système phonétique, grammatical, lexical du français. D'intéressantes études restent à faire qui amèneront à des conclusions plus générales sur les lois qui régissent le processus d'assimilation des mots étrangers dans la langue française. § 67. Les doublets. Ainsi qu'il s'ensuit des faits analysés, le vocabulaire français examiné du point de vue de son origine se compose de trois couches essentielles de mots : 1) les mots d'origine populaire ; 2) les mots d'origine savante ; 3) les mots d'origine étrangère. Il peut arriver que deux mots appartenant à deux couches différentes proviennent étymologiquement d'un même vocable introduit dans la langue française par deux voies distinctes. Nous sommes alors en présence de doublets. Signalons quelques exemples lorsque le même mot latin a pénétré en français par des voies différentes. Mot lat. auscultare captivus fragilem pensare integrum fabrica hospitale liberare advocatum legalem Mot fr. pop. écouter chétif frêle peser entier forge hôtel livrer loyal mot fr. sav. ausculter captif fragile penser intègre fabrique hôpital libérer avocat légal
Les doublets sont parfois la conséquence du retour dans la langue d'origine de mots déformés à la suite de leur séjour plus ou moins durable dans une autre langue. Tels sont tunnel, interview, humour, car empruntés à l'anglais, et leurs parents français tonnelle, entrevue, humeur et char. Dans la majorité des cas les doublets se spécialisent quant à leur sens (cf. : livrer et libérer, peser et penser) ; plus rarement les doublets sont des synonymes qui diffèrent toutefois par les nuances de leurs acceptions et par leur emploi ; ainsi pour frêle et fragile on dira une personne frêle, une santé frêle, une plante frêle, mais un objet fragile} § 68. Le rôle des emprunts dans l'enrichissement du vocabulaire. L'emprunt aux autres langues est un processus naturel et régulier qui découle de l'établissement de contacts toujours plus étroits entre les peuples. En principe, les emprunts enrichissent la langue qui les accueille. Le français ne fait pas exception à cette règle. A. Sauvageot écrit à ce propos : « Que le français emprunte des vocables à d'autres langues est une pratique banale, connue de toutes les langues. En général, tout concept, dès qu'il a été élaboré dans une langue, peut passer dans tout autre idiome, soit en gardant sa forme, rarement sa prononciation d'origine, soit en étant adapté à la langue emprunteuse.... Tout vocable convenablement adapté à la prononciation française se confond avec les mots du fonds national. Il n'y a donc aucune raison de renoncer à emprunter un terme étranger commode ou même indispensable dès lors qu'il remplit cette condition » [39, p. 139]. Il arrive cependant que dans certaines périodes les emprunts deviennent abusifs et, par conséquent, fâcheux. C'est ainsi que la mode des italianismes à la cour royale au XVIe siècle a suscité une réaction légitime de la part des gardiens de la pureté de la langue. L'activité de H. Estienne à cet égard est connue. L'influence excessive de l'anglais sur le français au XIXe siècle a provoqué pour autant la protestation des hommes de lettres. Dans quelques poèmes A. de Musset a parodié l'anglomanie des dandys de son temps. On lit dans Mardoche : ...son compagnon, compère et confident. Était un chien anglais, bon pour l'œil et la dent. Cet homme, ainsi reclus, vivait en joie. - A peine Le spleen le prenait-il quatre fois par semaine. puis : And how doyou do, mon bon père, aujourd'hui ? et dans Les secrètes pensées de Rafaël : Dans le bol où le punch rit sur son trépied d'or. Le grog est fashionable .. Vers la même époque Viennet, un des derniers représentants du classicisme, s'attaque, en qualité de puriste fervent et non sans parti pris, à toute sorte d'emprunts et, notamment, aux anglicismes. Dans son Epître à Boileau, déclamée en 1865 à la séance solennelle de l'Institut de France, il écrivait : On n 'entend que des mots à déchirer le fer. Le raihvay, le tunnel, le ballast, le tender, Express, trucks et wagons ; une bouche française Semble broyer du verre ou mâcher de la braise... Plus récemment les défenseurs de la pureté et de l'homogénéité relative de la langue française ont aussi réagi vigoureusement contre la pénétration massive des anglicismes et des américanismes. Déjà dans les années 50 du dernier siècle dans son ouvrage précité sur l'emprunt L. Deroy écrivait : « ...en France, on emploie le plus souvent des ternies anglais par snobisme, par engouement ou par caprice de l'heure... » [36. p. 169]. Dans les mêmes années Félix de Grand'Combe dresse une liste de termes superflus en français en les faisant accompagner de ses remarques. Signalons entre autres : « businessman : en quoi ce mot est-il préférable à « homme d'affaires ? » : label : ne veut rien dire de plus en anglais qu'« étiquette » : shopping : pas la moindre excuse pour cet anglicisme puisque le français dispose de deux mots excellents, « achats » et « emplettes ». pour ne rien dire d'« acquisitions ». De nos jours les linguistes continuent à suggérer leurs variantes françaises pour les xénismes anglais. Ainsi on propose parleuse ou diseuse pour speakerine,parc, parcage ou stationnement pour parking, spectacle pour show. Des recommandations officielles sont données dans le « Dictionnaire des mots contemporains » de Gilbert P. (P.. 1991) dont entre autres. conteneur pour container, palmarès pour hit-parade, matériel pour hardware, texte pour script. Dans son virulent programme pour la pureté de la langue française d'aujourd'hui « Parlez-vous franglais ? » R. Etiemble écrit : « Observez que ce sont toujours les mêmes qui sabirent atlantique et qui, lorsqu'ils ont recours au français, le massacrent : tantôt à renfort de mots grandilo-! quents et de tours prétentieux (politiciens, administrations publiques et privées), tantôt à irruption massive d'impropriétés, de solécismes et de barbarismes » [40, p. 303]. En dépit de ces protestations virulentes la propagation des anglicismes (britanniques ou américains) ne saurait être stoppée arbitrairement compte tenu de la suprématie technique et scientifique des pays traditionnellement anglophones. En plus, d'autres facteurs ont contribué à ce mouvement : l'anglais, tout comme le français, a subi une forte influence du latin, le français lui-même a marqué de son empreinte l'anglais au cours , des siècles. Il en est résulté que la structure des vocables des deux langues est à un haut degré homogène (exception faite à la prononciation). Non seulement l'abondance des xénismes baroques d'origine anglo-américaine mais aussi le recours abusif aux mots et éléments formateurs latins et grecs devient pour les linguistes un sujet d'inquiétude. Selon A. Sauvageot « La latinisation à outrance, combinée à une hellénisation de plus en plus active, finirait par changer complètement l'aspect et la consistance de notre vocabulaire » [39. p. 134]. Ainsi, remarque-t-il. crédible n'est que le doublon de croyable et éradiquer menace déraciner qui marque une tendance à restreindre son emploi : traumatisé évin-t ce choqué et le tour élégant averses éparses est remplacé par averses sporadiques. Un principe fondamental s'impose : quand les emprunts étrangers n'enrichissent guère la langue, quand leur emploi est dicté par la mode ou -, s'ils sont propagés de force, la lutte pour l'indépendance et la pureté de la langue devient indispensable. Seuls, ceux des emprunts sont légitimes qui comblent une véritable lacune en tenant lieu d'une périphrase gauche et lourde et dont l'aspect n'est pas choquant dans la langue emprunteuse. Telle est la création poster une lettre, surgie sous l'influence du verbe anglais to post. et qui est préférable à jeter une lettre à la boîte ; tel a été aussi le cas pour analphabétisme, emprunt italien, qui n'avait point son équivalent lexical en français. L'emprunt est nécessaire lorsqu'il s'agit de désigner une chose proprement étrangère (cf. : pudding, samovar, taïga, yatagan). Afin de subvenir au manque d'un vocable allogène utile il est préférable de faire appel à un emprunt sémantique ou à un décalque que de laisser s'infiltrer un xénisme à allure rébarbative. Ainsi l'acception anglaise de approach est parfaitement reproduite par approche dans approche d'un problème et celle de dispatcher par répartiteur. En conclusion on peut affirmer que l'utilisation dans une mesure raisonnable des mots d'emprunt, sans encombrer et affaiblir la langue, contribue à son enrichissement et sa consolidation. L'expérience historique démontre qu'à quelques exceptions près la langue conserve en fin de compte ceux des mots d'emprunt qui lui sont utiles, qui n'ont pas d'équivalents autochtones suffisamment précis et expressifs. Les ouvrages lexicographiques proposent des formes françaises ou francisées pour un nombre considérable d'emprunts baroques ; citons les équivalents recommandés pour quelques anglicismes néologiques : cadreur pour cameraman, régulateur pour dispatcher, prêt-a-manger pour fast-food, palmarès pour hit-parade, logiciel et matériel pour software et hardware, baladeur pour walkman. C'est l'usage qui, en définitive, décidera du sort de ces emprunts.
DEUXIEME PARTIE STRATIFICATION FONCTIONNELLE DU VOCABULAIRE EN FRANÇAIS MODERNE LES GROUPEMENTS LEXICAUX § 69. Remarques préliminaires. Les vocables d'une langue jouent un rôle différent pour la société. Les uns, qui constituent le fonds usuel, utiles à la vie de tous les jours, sont d'un usage courant parmi tous les membres du collectif parlant cette langue, d'autres ont une extension plus restreinte ne servant principalement que quelque groupe particulier de gens : la population d'une région déterminée, une couche sociale quelconque. Certains mots, tels les mots internationaux, ont cours parmi les représentants de collectifs linguistiques différents. En outre, les vocables se distinguent quant à la durée de leur existence dans la langue : les uns conservent leur vitalité au cours de longs siècles sans rien perdre de leur valeur jusqu'à nos jours, quelques-uns tombent dans l'oubli, d'autres représentent des créations nouvelles.' Ainsi le français a subi au cours du temps des perturbations plus ou moins importantes qui ont laissé des traces dans son état présent. Les variations sociales et territoriales dont il sera question dans la présente partie en sont un témoignage manifeste. Il est à signaler qu'à l'heure actuelle l'accélération des changements d'ordre social a pour conséquence des modification autrement rapides. Il arrive même que ces modifications aboutissent à un décalage entre le langage des parents et des enfants. En procédant à l'étude du vocabulaire d'une langue il est donc nécessaire de tenir compte du fait qu'il renferme des groupements d'unités lexicales de valeur sociale inégale et de fonctionnement divers.
CHAPITRE I CARACTÉRISTIQUE DU FONDS USUEL DU VOCABULAIRE DU FRANÇAIS MODERNE § 70. Les caractères du fonds lexical usuel. Le fonds usuel comprend des vocables d'un emploi commun pour toute la société. Tels sont les mots et les expressions terre, soleil, homme, grand, beau, travailleur, avoir faim et une quantité d'autres qui sont parmi les plus usités dans la langue. À côté des mots autonomes le fonds usuel comprend les mots-outils ou non-autonomes qui ont reçu un emploi commun et durable. Ce sont les articles, les pronoms, les verbes auxiliaires, les prépositions, etc. Les mots et locutions du fonds usuel qui constituent la base lexicale du français standard1, sont nécessairement employés par les représentants de couches sociales différentes dans la plupart des régions où le français sert de moyen de communication2. En dehors du fonds usuel du vocabulaire demeurent les mots dialectaux d'une extension restreinte, employés de préférence dans une région déterminée. Ainsi mouche à miel répandu au Nord de la France n'entre pas dans le fonds usuel, tandis que abeille exprimant la même notion et employé sur presque tout le territoire du pays en fait sans conteste partie. Les mots d'argot et de jargon, les termes spéciaux et professionnels, etc., doivent être aussi exclus du fonds usuel ; tels sont, par exemple, les cas de bûcher, potasser, piocher, chiader tenant lieu de « travailler ferme » dans l'argot scolaire. Le vocabulaire est la partie la plus fluide de la langue, la partie la plus sensible aux changements survenus dans la société humaine, dans son régime social, dans les domaines scientifiques et techniques, dans les mœurs, etc. Toutefois les mots du fonds usuel subsistent dans la langue pendant une longue durée. Le fonds usuel est de beaucoup plus vital que l'ensemble du vocabulaire. En effet, un grand nombre de mots du fonds usuel lexical du français moderne remonte à une période historique éloignée, à l'époque de la domination romaine en Gaule et de son envahissement ultérieur par les tribus germaines, durant la période de formation de la langue française à base du latin populaire (ou « vulgaire »). Le fonds usuel du français moderne a conservé un grand nombre de mots ayant appartenu autrefois au latin populaire et qui ont été répandus sur le territoire de la Gaule par les soldats romains. Citons quelques-uns de ces mots qui sont jusqu'à présent d'un emploi commun : oie < auca, parent < parentis, tête < testa, jambe < gamba, cité < civitas, bouche < bucca, manger < manducare, trouver < tropare, passer < passare, poitrine < pectorina.
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